Marc Domage

13 novembre 2009 - 7 février 2010

Ultime Caillou

Frac Alsace, Sélestat (FR)

Type

Exposition personnelle

Commissariat d'exposition

Olivier Grasser

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Communiqué de presse

« Et sans la lointaine évidence de mes paumes, de mes plantes, dont je n’ai pas encore su me débarrasser, je me donnerais volontiers la forme, sinon la consistance, d’un œuf, avec deux trous pour empêcher l’éclatement. »

Samuel Beckett, L’Innommable

Anita Molinero est sculpteur, elle réalise une œuvre puissante et inquiétante, audacieuse et habitée. Dans un registre de l’urbain et de l’industriel, interpellant un imaginaire de science-fiction ou de cinéma, elle semblerait ne pas pouvoir mieux coller à son époque. C’est une œuvre pragmatique et réaliste, mais non sans expressivité, remuante et sans compromis, qui impressionne le regard et dont l’impertinence bouscule les regards convenus. Elle pourrait être interprétée comme portée par un discours écologique, nourri de références à la pollution et aux menaces chimiques. Néanmoins, Anita Molinero revendique entièrement son travail dans le champ artistique, sans enjeu de représentation ni d’illustration de préoccupations sociales et politiques actuelles. Elle n’a de commun avec le monde que sa turbulence.

Depuis ses débuts, dans les années 80, Anita Molinero travaille avec les matériaux les plus banals de notre environnement familier. Elle a longtemps utilisé le carton, les mousses synthétiques, des matériaux de récupération. Ces dernières années, elle se sert de poubelles, de mousses polyuréthane, de bacs et d’éléments de mobilier urbain, moulés en plastique ou en résine. Son travail pourrait évoquer un inventaire à la Prévert de matériaux industriels, sans valeur esthétique, aux couleurs criardes. Anita Molinero s’est inscrite avant l’heure dans une tendance d’œuvres pauvres, dont la fragilité et l’esprit de déconstruction déplorent la faillite des utopies progressistes modernes.

Mais dans son travail récent, rien du constat documentaire, rien d’une critique sociale, aucune attitude prétendue politique. Il y est au contraire question d’énergie et de geste, un geste vigoureux et économe à la fois, une énergie à porter et à épuiser, qui dénature et rend organiques des matériaux artificiels. Littéralement, Anita Molinero engage avec ses matériaux un corps à corps offensif et intuitif, passionné en même temps que jubilatoire. Elle les découpe, les lacère, les martèle, les brûle, les fait fondre… Elle les violente et les dégrade, interroge leur résistance. Ses sculptures sont un spectacle de formes bruyantes et colorées, sortes de trophées dégoulinants, aux allures d’effets spéciaux. Comment, bien sûr, en écho au réel, ne pas y entendre un grondement de violences urbaines ? Il y a bien de la nocivité et de la menace dans la sculpture d’Anita Molinero, comme l’ombre d’un danger latent et invisible.

Dans une filiation artistique de la laideur et de la répulsion, la sculpture d’Anita Molinero développe une esthétique du rebut, dont elle tire une paradoxale dynamique. Tel un éclat de rire tonitruant, elle est érotique et inconvenante. Elle fraye avec l’abject et l’inacceptable. Ses formes sont comme des corps éviscérés, gonflés de boursoufflures, débordant de trous et de béances. Le regard y plonge vers une intériorité innommable. Il y a quelque chose de l’ordre du langage dans ce travail, d’une parole improbable, du silence de l’irreprésentable.

Le titre de l’exposition d’Anita Molinero au Frac Alsace, Ultime caillou, tire son origine des déchets ultimes, déchets non toxiques qui ne sont plus susceptible d’être traités ou valorisés, ni techniquement ni économiquement. Deux nouvelles sculptures y seront présentées, réalisées à partir de déchets ultimes d’amiante pour l’une et de fauteuils pour handicapés pour l’autre : où il sera question du corps et de sa matérialité, d’énergie physique et de danger.

Olivier Grasser

Directeur du Frac Alsace

Bibliographie

Crédits

Marc Domage