Hervé Scavone, Frac Franche-Comté
21 mars - 15 avril 1994
Anita Molinero, Sculptures : Ecole nationale des Beaux-Arts, Dijon
Type
Exposition personnelle
Commissariat d'exposition
Xavier Douroux
Franck Gautherot
Liste des oeuvres
Communiqué de presse
Sans Désignation Fixe de Xavier Douroux & Franck Gautherot, 1994
Commençons par dire -surtout si cela doit passer pour un aveu - qu'avec l’œuvre d'Anita Molinero, nous ne sommes pas en terrain de connaissance. En effet, c'est bien simple (et pour tout dire) on se connaît à peine. Non pas que l'étrangeté (forcément toute relative) de ce travail, tel qu'il nous fut donné à découvrir, nous soit apparue comme étrangère, mais bien parce que les conditions même de cette rencontre jouèrent de l'effet de surprise.
A Tours, l'an passé, nous n'y étions pas "préparés". Nous étions là pour la double exposition de Claude Rutault et Oliver Mosset au Centre de création contemporaine que dirige Alain Julien-Laferrière. Et c'est surtout par conscience "professionnelle" que nous nous rendîmes, sur ces conseils, dans la chapelle désaffectée des Lazaristes où Anita Molinero (dont le nom ne nous évoquait alors absolument rien) avait, à son invitation, réuni quelques pièces. Le lieu était évidemment infernal, l'exposition impossible et je ne suis toujous pas très sûr d'avoir bien vu ce que nous avions regardé. Queqlues mois plus tard, nous apprenions que Michel enrici l'accueillait en résidence à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts de Dijon.
A notre sens, les oeuvres d'Anita Molinero sont leurs matériaux. Des matériaux que l'on continue à nommer avec les mots du bord : béton aggloméré, mousse polyuréthane, vêtements, ruban adhésif, carton, banc... pouvant servir à se protéger, s'abriter, s'habiller, se couvrir, se poser, se reposer, se protéger... ni pauvres, ni riches, encore que les matériaux soient davantage l'apanage des pauvres et les objets, la carte de visite des riches. Sans être autobiographique, à la manière des matières de Beuys, ils ne sont pas rebuts portant l'empreinte du temps comme chez Stankiewicz, ni spectaculairement présentés comme chez Nancy Rubins. Ils sont "nos contemporains" au sens d'un Sacha Guitry ne montrant de Degas que l'image filmée d'un vieillard sur un boulevard et que seule la désignation du comentaire tire de son anonymat.
Ces matériaux sont assemblés, tout au moins juxtaposés, empilés, disons réunis. Ligaturés, emmaillotés, entravés, ils sont comme recroquevillés, comme déliés, sans pourtant que leur existence ne devienne une énigme.
La taille de pareils assembages se mesure à l'aune du corps, debout, allong, assis, quand les mains ne sont pas tentées de saisir, ramasser, les pieds de retourner, pousser. En même temps qu'ils sont encore un peu d l'activité humaine, ils sont aussi l'évidence d'une certaine distension des liens, d'une certaine disparition des corps, d'un effacement "post human" radical et inégal. Ni présence ni absence, on les frôle comme des oublis, on les entr'aperçoit incrédules, sans adresses, ni papiers, déjà presque exclus. La stridence de certaines couleurs oscille entre prolixité et silence, parler et ne rien dire. Quelques-uns délirent, d'autres se murent. Au sol, étendus ou simplemen là, gesticulant quelquefois, sans être compréhensibles, tels les unités de langage des sourds-muets.
Car de fait les mots que nous employons ne correspondent plus au monde, ils doivent cesser de rester les mêmes. Or, il nous faut impérativement donner des noms à de nouveaux échantillons. Le réemploi d'autres langues pour en parler (ainsi des termes junk, garbage, grunge, trash) ne suffit pas. Il vient trop tard car, maintenant, le moment important de la vie des choses est celui juste avant qu'elles ne deviennent autre chose. Sinon, pourquoi Anita Molinero sentêterait-elle à continuer d'appeler "sculptures" ce qui précisément, sous nos yeux, bascule dans l'a-sculpturation, y compris à travers l'indispensable fictions des correspondances et rapprochements avec d'autres oeuvres : certaines plus anciennes, comme les pièces en tissu de Barry Flanafan (1968), celles en mousse de Chamberlain (1967-1968), ou d'autres, plus actuelles, ainsi les installations de Urs Frei ou Jessica Stockholder.
Il y a peu, Olivier Mosset écrivait : "Si l'oeuvre de Schwitters a qelque chose à voir avec le commerce (Merz), peut-être celle de Jessica Stockholder a-t-elle à voir avec l'économie, ou du moins le Stock Exchange" ; et l'activité d'Anita Molinero avec l'après krach (crack), quand la "misère du monde" cessera d'être uniquement la nouvelle hantise millénariste des nantis, serions-nous tentés d'ajouter.
Bibliographie
Crédits
Hervé Scavone, Frac Franche-Comté