2013
La Station
1% artistique, 2013
Station T3 Porte de la Villette, Paris
"J'ai conçu cette station à partir de Paris, dans Paris et pour La Porte de La Villette."
Anita Molinero a concu l'ensemble de la station de tram et de bus « Porte de la Villette, Cite des Sciences et de l'Industrie » en utilisant le béton comme élément de son projet, en réference à l'immeuble qui domine le site.
Neuf abris composent la station - aucun n'est identique autant dans la forme que dans la répartition des ornements. Sur les 9, 3 sont des abris horizontaux redressés. Les ornements, les sièges, les informations se retrouvent à la verticale. Elle a egalement dessiné le revetement du sol qui se retrouve sur chacun des abris.
"Les gardes-corps constituent un effet paysage, les bâtons d'inox sont courbés, pliés comme sous l'effet du vent à la puissance démultipliée.
La matérialité rugueuse, les textures, les ornements viennent de l'asphalte, du ciel des déplacements de ce qui la traverse : personnes , véhicules et pigeons .
J' ai pensé au confort des passagers et je me suis laissé emporté par l'art.
J'ai imaginé chaque abris comme un petit théâtre de l'attente à travers : les trajectoires scénarisées, des empreintes d'oiseaux dans les parois, les rosaces de feux lumineuses, les pâtes d'oiseaux installés en "cariatides ", les pneus moulés sortant des parois.
L' usage rassure, l'art emporte. Nous avons besoin des deux sensations. j'ai offert les deux aux parisiens. "
Anita Molinero
Ce projet s'inscrit dans le parcours artistique du tramway parisien T3.Le prolongement de la ligne de tramway T3 entre les portes d'Ivry et de la Chapelle s'accompagne d'une exceptionnelle commande d'art contemporain : 19 projets artistiques se materialisent durant l'annee 2012 sur les 14,5 kilometres du nouveau tronçon.
Dimensions
/
Statut de l'oeuvre
1% artistique
Expositions
Bibliographie
Entretien avec Paul Bernard, 2018, publié dans l'ouvrage "Anita Molinero" aux Presses du Réel.
Évoquons d’abord le contexte de votre intervention. C’est une zone un peu marginale de la périphérie de Paris dans laquelle on distingue plusieurs strates d’urbanisation.
C’est un territoire dans lequel je me sens très bien. Ce sont des zones qui échappent au verrouillage et à l’analyse du centre-ville. On a là des bâtiments énormes, sans réelles qualités, sans détails, qui bordent un gigantesque point de transit. Ça passe. C’est un endroit où rien n’est fait a priori pour retenir l’attention. Le regard glisse tout le temps. Toute ma proposition part de là, de cet amalgame hétérogène que produit l’urbanisation. Dès le début, mon intention était de faire émerger une petite vérité locale, envisager le territoire tel qu’il était, travailler à partir de lui, avec ce qu’il peut offrir d’un point de vue sensible et en tenant compte de ses usages.
Votre intervention n’a pas consisté à placer une œuvre mais à traiter l’intégralité de la station. À partir de quoi avez-vous travaillé ?
Je n’ai pas cherché à ce que le résultat corresponde avec ce que l’on perçoit de mon travail mais plutôt à faire de celui-ci une fondation. Pour le dire autrement, j’ai envisagé la station avec une façon de raisonner qui est la mienne quand je fais de l’art. Un art de la proximité qui exacerbe la matérialité. Tout sauf la forme lisse, hors contexte, qui n’a qu’un intérêt photogénique. La commande était de réaliser la station dans son intégralité, ce qui revient à traiter les abris. J’ai donc commencé à m’interroger sur la notion de refuge, de lieu protégé ou du moins ressenti comme tel. J’avais en tête les abribus que l’on trouve dans la campagne reculée ou les anciennes stations-service. Ce sont des petites architectures modestes, qui se réduisent à trois parois et un toit en béton.
À partir de cette forme ont découlé un certain nombre de principes. D’abord, je souhaitais que ces abris soient opaques avec des fenêtres. L’opacité est un tabou dans l’espace public où tout doit être transparent, visible de partout. Or je crois que le sentiment d’abri provient en partie d’une possibilité de se cacher, de se soustraire au regard. Il y a des fenêtres si l’on veut regarder l’extérieur mais on ne subit pas l’observation.
Ensuite, il y a un principe d’échelle qui favorise l’apprivoisement : la taille de ces abris est proche du corps et donne le sentiment qu’ils ont été réalisés par un seul maçon. Enfin, je voulais que cette forme massive, brute, réduite à sa stricte nécessité, soit peuplée d’une multitude d’ornements, de détails « pour soi », destinés à l’usager.
Il y a neuf abris au total, relativement similaires, dont trois sont redressés. Qu’est-ce qui vous a amenée à ce geste ?
J’ai essayé de ne pas être une architecte. Ou plutôt de jouer avec l’architecture comme avec une dînette. J’ai fait des maquettes d’abris que j’ai soumises à différentes variations. Aucun abri n’a tout à fait la même forme, de sorte que, vue d’en haut, depuis le train qui passe à côté par exemple, leur succession dessine une ligne brisée. C’est ce qui la rend très difficile à photographier. Je voulais par ailleurs une pointe d’arrogance mais en évitant le geste architectural, autoritaire et condescendant. J’ai fini par la trouver en retournant simplement certains abris. Une façon pour moi d’associer ce qui est nécessaire, l’abri, et ce qui est suffisant, la bascule. Des principes simples de sculpture qui pourraient faire penser à des artistes comme Richard Serra. À ceci près que j’ajoute des détails, c’est-à-dire tout ce que ces artistes-là rejettent.
Ce type d’ornements, ces empreintes et moulages, ont quelque chose de très classique pour un sculpteur, mais on ne les retrouve pas ailleurs dans votre travail.
J’ai fait des gestes ici que je ne ferais jamais dans ma sculpture. Je tenais beaucoup à ces ornements de compagnie. L’ornement est généralement méprisé par les architectes, c’est un crime. Or je crois au contraire que la manière dont on s’approprie un lieu tient beaucoup aux détails. Dès le début du projet, j’ai traduit « espace public » par « espace commun », en me demandant qui était ici, qui traversait. Nous sommes dans un quartier périphérique de Paris, les usagers sont les piétons, les véhicules et les pigeons, et j’ai donc travaillé à partir des empreintes de ces « passants ». Quand on passe près des asphaltes frais parisiens, on trouve toujours de belles empreintes de pigeons. Et puis il y avait les feux de voitures qui sont devenus des luminaires décoratifs. Ce sont les persistances lumineuses de la ville. Le soir, ces feux sont tout ce qu’il reste. Donc j’en ai fait aussi des ornements. J’ai créé de petits rapprochements. À un certain moment, les pattes d’oiseaux luttent contre les traces d’hommes et les chevauchent. Certaines traces s’amusent des panneaux d’information et tournent autour. Les pattes d’oiseaux en volume, qui sont autant de petites cariatides, c’était vraiment pour exprimer cette idée que quand les faibles sont nombreux, ils deviennent forts, ils peuvent porter un abri. C’est une dimension symbolique à laquelle j’étais attachée. On a donc soixante petites pattes d’oiseaux qui se voient à peine et qui portent le toit. De même, j’ai conçu les sièges avec des alvéoles de différentes tailles, pour recevoir différentes corpulences. Au final, aucun abri n’a tout à fait le même mobilier ni les mêmes ornements. Seuls les usagers vont vraiment faire la différence. Il va y avoir une manière de décrire et de désigner propre à chacun.
Il y a quand même un effet de camouflage. À quelques centaines de mètres, on ne distingue pas forcément les abris, et ceux qui sont relevés se confondent avec la masse des barres d’immeubles devant laquelle ils se trouvent. On célèbre l’arrivée du tramway, il y a une idée de vitesse, de décloisonnement, à laquelle vient presque s’opposer votre proposition. C’est assez déconcertant.
Oui, et d’ailleurs, à l’origine je voulais travailler avec du goudron noir pour accentuer davantage cette « furtivité ». Je voulais que le sol et les abris soient de la même nature, qu’on ait l’impression que ces constructions soient comme issues du sol, extirpées. Quand ensuite il a fallu travailler avec du béton, j’ai choisi une gamme de couleur en fonction de ce que l’on trouve ici. Et de même, les petits bouts de verre éclaté dans les dalles, c’était pour renvoyer là encore aux feux de voiture. On peut passer complètement à côté mais quand on rentre, et quand on est usager, on commence à regarder. J’aime bien l’idée qu’on puisse penser que c’était là depuis vingt ans et qu’on n’y avait jamais prêté attention. Moi qui ne suis pas d’une nature discrète en art, j’étais contente de pouvoir proposer un projet un peu effacé.
Quels ont été vos rapports avec les différents acteurs de la commande publique ?
Il y a eu de nombreuses réunions qui m’ont permis d’être sûre de ce que je voulais. Lorsque je fais une sculpture, la forme à laquelle j’aboutis ne provient que de mon désir de faire une sculpture. Je prends la décision de la faire, et quelques-uns prennent la décision de la regarder. Ici, en intervenant dans l’espace public, cela ne m’appartient plus. Il faut trouver une juste mesure, entre la façon dont je m’y retrouve moi sur une certaine créativité, et la façon dont on peut s’y retrouver nous, sur un usage et une fantaisie. C’est un projet que j’ai fait en collaboration étroite avec des architectes et des ingénieurs, notamment pour certains détails techniques. Par exemple, sur les abris, il n’y a pas de joints entre les parois et le toit. Or, j’ai fini par l’apprendre, c’est un défi en architecture. Je voulais que cela donne l’impression d’être posé là. Dans mes réflexions, il y a toujours eu des questionnements sur la dynamique. Les dalles donnent une impression de glissement. C’est un détail technique qui rend un peu plus léger l’ensemble.
On retrouve cette échelle du maçon que vous évoquiez.
Oui, comme si ça n’était pas fini. Une petite architecture avec quelque chose d’arrogant. Je voulais faire un objet de territoire. Je suis convaincue que l’architecture doit rendre intéressant ce qui est autour d’elle. Si l'on ne fait que poser, comme un vaisseau spatial, une architecture qui n’a rien à voir avec son contexte, on ne fait qu’accentuer une division. Il faut arriver à révéler quelque chose de beau qui est déjà présent. Et si ce n’est pas si beau que ça, c’est de toute façon là que vivent les gens.
Bibliographie
Entretien avec Paul Bernard, 2018, publié dans l'ouvrage "Anita Molinero" aux Presses du Réel.
Évoquons d’abord le contexte de votre intervention. C’est une zone un peu marginale de la périphérie de Paris dans laquelle on distingue plusieurs strates d’urbanisation.
C’est un territoire dans lequel je me sens très bien. Ce sont des zones qui échappent au verrouillage et à l’analyse du centre-ville. On a là des bâtiments énormes, sans réelles qualités, sans détails, qui bordent un gigantesque point de transit. Ça passe. C’est un endroit où rien n’est fait a priori pour retenir l’attention. Le regard glisse tout le temps. Toute ma proposition part de là, de cet amalgame hétérogène que produit l’urbanisation. Dès le début, mon intention était de faire émerger une petite vérité locale, envisager le territoire tel qu’il était, travailler à partir de lui, avec ce qu’il peut offrir d’un point de vue sensible et en tenant compte de ses usages.
Votre intervention n’a pas consisté à placer une œuvre mais à traiter l’intégralité de la station. À partir de quoi avez-vous travaillé ?
Je n’ai pas cherché à ce que le résultat corresponde avec ce que l’on perçoit de mon travail mais plutôt à faire de celui-ci une fondation. Pour le dire autrement, j’ai envisagé la station avec une façon de raisonner qui est la mienne quand je fais de l’art. Un art de la proximité qui exacerbe la matérialité. Tout sauf la forme lisse, hors contexte, qui n’a qu’un intérêt photogénique. La commande était de réaliser la station dans son intégralité, ce qui revient à traiter les abris. J’ai donc commencé à m’interroger sur la notion de refuge, de lieu protégé ou du moins ressenti comme tel. J’avais en tête les abribus que l’on trouve dans la campagne reculée ou les anciennes stations-service. Ce sont des petites architectures modestes, qui se réduisent à trois parois et un toit en béton.
À partir de cette forme ont découlé un certain nombre de principes. D’abord, je souhaitais que ces abris soient opaques avec des fenêtres. L’opacité est un tabou dans l’espace public où tout doit être transparent, visible de partout. Or je crois que le sentiment d’abri provient en partie d’une possibilité de se cacher, de se soustraire au regard. Il y a des fenêtres si l’on veut regarder l’extérieur mais on ne subit pas l’observation.
Ensuite, il y a un principe d’échelle qui favorise l’apprivoisement : la taille de ces abris est proche du corps et donne le sentiment qu’ils ont été réalisés par un seul maçon. Enfin, je voulais que cette forme massive, brute, réduite à sa stricte nécessité, soit peuplée d’une multitude d’ornements, de détails « pour soi », destinés à l’usager.
Il y a neuf abris au total, relativement similaires, dont trois sont redressés. Qu’est-ce qui vous a amenée à ce geste ?
J’ai essayé de ne pas être une architecte. Ou plutôt de jouer avec l’architecture comme avec une dînette. J’ai fait des maquettes d’abris que j’ai soumises à différentes variations. Aucun abri n’a tout à fait la même forme, de sorte que, vue d’en haut, depuis le train qui passe à côté par exemple, leur succession dessine une ligne brisée. C’est ce qui la rend très difficile à photographier. Je voulais par ailleurs une pointe d’arrogance mais en évitant le geste architectural, autoritaire et condescendant. J’ai fini par la trouver en retournant simplement certains abris. Une façon pour moi d’associer ce qui est nécessaire, l’abri, et ce qui est suffisant, la bascule. Des principes simples de sculpture qui pourraient faire penser à des artistes comme Richard Serra. À ceci près que j’ajoute des détails, c’est-à-dire tout ce que ces artistes-là rejettent.
Ce type d’ornements, ces empreintes et moulages, ont quelque chose de très classique pour un sculpteur, mais on ne les retrouve pas ailleurs dans votre travail.
J’ai fait des gestes ici que je ne ferais jamais dans ma sculpture. Je tenais beaucoup à ces ornements de compagnie. L’ornement est généralement méprisé par les architectes, c’est un crime. Or je crois au contraire que la manière dont on s’approprie un lieu tient beaucoup aux détails. Dès le début du projet, j’ai traduit « espace public » par « espace commun », en me demandant qui était ici, qui traversait. Nous sommes dans un quartier périphérique de Paris, les usagers sont les piétons, les véhicules et les pigeons, et j’ai donc travaillé à partir des empreintes de ces « passants ». Quand on passe près des asphaltes frais parisiens, on trouve toujours de belles empreintes de pigeons. Et puis il y avait les feux de voitures qui sont devenus des luminaires décoratifs. Ce sont les persistances lumineuses de la ville. Le soir, ces feux sont tout ce qu’il reste. Donc j’en ai fait aussi des ornements. J’ai créé de petits rapprochements. À un certain moment, les pattes d’oiseaux luttent contre les traces d’hommes et les chevauchent. Certaines traces s’amusent des panneaux d’information et tournent autour. Les pattes d’oiseaux en volume, qui sont autant de petites cariatides, c’était vraiment pour exprimer cette idée que quand les faibles sont nombreux, ils deviennent forts, ils peuvent porter un abri. C’est une dimension symbolique à laquelle j’étais attachée. On a donc soixante petites pattes d’oiseaux qui se voient à peine et qui portent le toit. De même, j’ai conçu les sièges avec des alvéoles de différentes tailles, pour recevoir différentes corpulences. Au final, aucun abri n’a tout à fait le même mobilier ni les mêmes ornements. Seuls les usagers vont vraiment faire la différence. Il va y avoir une manière de décrire et de désigner propre à chacun.
Il y a quand même un effet de camouflage. À quelques centaines de mètres, on ne distingue pas forcément les abris, et ceux qui sont relevés se confondent avec la masse des barres d’immeubles devant laquelle ils se trouvent. On célèbre l’arrivée du tramway, il y a une idée de vitesse, de décloisonnement, à laquelle vient presque s’opposer votre proposition. C’est assez déconcertant.
Oui, et d’ailleurs, à l’origine je voulais travailler avec du goudron noir pour accentuer davantage cette « furtivité ». Je voulais que le sol et les abris soient de la même nature, qu’on ait l’impression que ces constructions soient comme issues du sol, extirpées. Quand ensuite il a fallu travailler avec du béton, j’ai choisi une gamme de couleur en fonction de ce que l’on trouve ici. Et de même, les petits bouts de verre éclaté dans les dalles, c’était pour renvoyer là encore aux feux de voiture. On peut passer complètement à côté mais quand on rentre, et quand on est usager, on commence à regarder. J’aime bien l’idée qu’on puisse penser que c’était là depuis vingt ans et qu’on n’y avait jamais prêté attention. Moi qui ne suis pas d’une nature discrète en art, j’étais contente de pouvoir proposer un projet un peu effacé.
Quels ont été vos rapports avec les différents acteurs de la commande publique ?
Il y a eu de nombreuses réunions qui m’ont permis d’être sûre de ce que je voulais. Lorsque je fais une sculpture, la forme à laquelle j’aboutis ne provient que de mon désir de faire une sculpture. Je prends la décision de la faire, et quelques-uns prennent la décision de la regarder. Ici, en intervenant dans l’espace public, cela ne m’appartient plus. Il faut trouver une juste mesure, entre la façon dont je m’y retrouve moi sur une certaine créativité, et la façon dont on peut s’y retrouver nous, sur un usage et une fantaisie. C’est un projet que j’ai fait en collaboration étroite avec des architectes et des ingénieurs, notamment pour certains détails techniques. Par exemple, sur les abris, il n’y a pas de joints entre les parois et le toit. Or, j’ai fini par l’apprendre, c’est un défi en architecture. Je voulais que cela donne l’impression d’être posé là. Dans mes réflexions, il y a toujours eu des questionnements sur la dynamique. Les dalles donnent une impression de glissement. C’est un détail technique qui rend un peu plus léger l’ensemble.
On retrouve cette échelle du maçon que vous évoquiez.
Oui, comme si ça n’était pas fini. Une petite architecture avec quelque chose d’arrogant. Je voulais faire un objet de territoire. Je suis convaincue que l’architecture doit rendre intéressant ce qui est autour d’elle. Si l'on ne fait que poser, comme un vaisseau spatial, une architecture qui n’a rien à voir avec son contexte, on ne fait qu’accentuer une division. Il faut arriver à révéler quelque chose de beau qui est déjà présent. Et si ce n’est pas si beau que ça, c’est de toute façon là que vivent les gens.