6 juin - 17 septembre 2006
Extrusoït
Type
Exposition personnelle
Commissariat d'exposition
Christian Bernard
Liste des oeuvres
Communiqué de presse
Trophées
Longtemps la sculpture a été présentée comme une affaire d’homme, c’est-à-dire de force, d’affirmation virile contre la matière, de conquête expressive sur l’opacité inerte de l’informe. Camille Claudel fit ainsi figure de sublime victime de Rodin et Eva Hesse d’héroïne tragique terrassée dans sa lutte contre le machisme minimaliste par les effluves nocives des nouvelles matières plastiques. Rares sont aujourd’hui les artistes – et, a fortiori, les artistes femmes – qui comme Anita Molinero continuent de s’affronter à la sculpture dans son acception classique : s’attaquer au matériau par soustraction, découpe, déchirure, déformation, perforation, trituration, comme en un combat sans merci où la violence et la forme sont l’avers et l’envers d’un geste destructeur dont pourtant surgit l’œuvre.
On aura compris que nous sommes ici dans un registre expressionniste exacerbé. Comment sculpter après la fin analytique moderniste de la sculpture, après la destitution moderno-puritaine de l’expressivité ? Comment réaffirmer la puissance dans le même temps qu’on en révoque les usages spectaculaires au service de la domination ? Comment revalider les séductions paradoxales de la force destructrice ? Il y a une iconographie de l’iconoclasme, tout un répertoire de formes défaites, d’images défuntes, d’oripeaux en lambeaux. Steven Parrino l’a exaltée dans son acharnement contre la peinture acculée à sa butée monochrome.
A. Molinero conduit des batailles comparables dans le champ de la sculpture contemporaine. Les matériaux qu’elle torture sont issus de notre environnement le plus quotidien : emballages en polystyrène extrudé, onduline, films étirables, sacs poubelles, conteneurs et tous autres objets en plastique moulé ou thermoformé. Aux deux bouts de la chaîne, ils protègent les marchandises que nous consommons et emportent les déchets qu’elles deviennent aussitôt. Ce sont des choses périphériques, des matériaux fantômes. L’artiste les place au centre de son travail, elle y trouve ses moyens mêmes, elle en fait ses objets propres, les chairs qu’elle métamorphose par dilacérations et brûlures.
Il en résulte une sculpture polychrome d’un nouveau genre qui relève de l’esthétique du trou, de la coulure, de l’éviscération, de l’affaissement, de l’effondrement. Ces écorchés à l’anatomie tératologique, ce n’est pas pour rien qu’ils sont souvent accrochés au plafond comme des carcasses sanglantes, comme des trophées dérisoires issus de chasses improbables ou d’apocalypses post-technologiques. L’ombre portée d’Hiroshima s’étend parfois insidieusement sur ces peaux boursouflées, ces armures fondues, ces champignons grotesques. D’excroissances en ablations, le monde des formes que A. Molinero arrache aux outils bénins de la protection et de la conservation de notre existence anodine libère la stridence intolérable de l’époque.