Myriam Tirler

23 novembre - 4 janvier 2014

Tarmac

Le 180, espace d'art contemporain de la ville de Rouen (FR)

Type

Exposition personnelle

Exhibition curator

Curatrice : Julie Faitot

Production de l’exposition : Lily Darago

Tarmac a été réalisée dans les locaux de Lot 16, plateforme de création et résidence d’artistes

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Press release

Chaque exposition est une rencontre – entre l’artiste et celui qui l’invite, entre l’œuvre (ou les œuvres) et le visiteur. Chaque exposition est une rencontre possible. Le titre qui lui est donné en donne la tonalité : comme des auspices, sous lesquels serait placé ce rendez-vous potentiel. Le titre d’une exposition serait donc son mot de passe, sa clé.

Tarmac désigne à la fois un matériau – un alliage de goudron (tar en anglais) et de bitume (ou macadam) – et la zone de stationnement des avions, dans un aéroport. C’est là, souvent, que se tiennent les discours de bienvenue d’hommes politiques en visite officielle ou l’accueil d’otages libérés, revenus. Il s’agit d’une matière impure – un mélange – et d’un territoire intermédiaire, un lieu de pause, entre deux départs, deux voyages.

Tarmac est le nom choisi par Anita Molinero pour son exposition au 180 et l’ensemble de pièces qu’elle y présente. Il dit, tout d’abord, l’importance de la matière – d’une matière ordinaire – dans le travail de l’artiste : Anita Molinero pratique la sculpture à partir d’objets ou de matériaux appartenant à notre quotidien contemporain et non pas propres au monde de l’art. Ce sont parfois des choses dont on se débarrasse, que l’on cache, des rebuts et des déchets ou ce qui les véhicule – des matelas trouvés dans la rue, des poubelles en plastique, des fosses septiques, … Ils sont très souvent en plastique ou en polystyrène : des phares de voiture, des emballages de fast-food…

Les plaques de polystyrène composant Tarmac sont utilisées dans les murs de nos maisons comme isolants – elles sont efficaces et pratiques (s’emboîtent, se coupent aux bonnes dimensions, facilement transportables car légères). Elles sont ici empilées (vous voyez les tranches, grises, la surface plane, légèrement irisée, où la référence du modèle subsiste) ; elles sont ensuite collées à la bombe (vous voyez la mousse orange prise en sandwich entre deux plaques grises) ; puis placées sur des plots en béton anthracite, que vous avez déjà aperçus dans la rue.

Elles ont, entre temps, été transformées, altérées – car Anita Molinero ne se contente pas de poser au vu de tous ce qui est en général occulté. Elle le transporte ailleurs, y faisant apparaître une forme, par une série d’opérations qui pourrait s’apparenter à de la cuisine, quand la cuisine se fait expérimentale : que se passe-t-il, quand on brûle la plaque, parsemée de gouttes de pluie ? Quel effet produit le chalumeau qui insiste, sur la tranche, entre deux couches ? Et celui du fil chaud utilisé comme un fil à couper le beurre ? Alors la matière se creuse, se corne, fond, dégouline, cloque, goutte, mousse, calcine, cendre. Et une forme émerge. Une forme autre. Une forme qui emmène la matière ailleurs, du côté du territoire ou de la géographie ; du mobilier ; du corps.

Tarmac, la forme née de cette transformation, est à la fois belle – d’une élégance numérique comparable à l’architecture « morphée » la plus contemporaine – et laide – affreuse, purulente, rongée, comme les entrailles d’une bête éventrée. C’est cette ambivalence que l’artiste va chercher, devant ses fourneaux, ses feux, ses chaudrons. Et c’est là que se loge la dimension politique de son travail : utiliser des matériaux synthétiques, ultracontemporains, si envahissants qu’on ne saura bientôt plus qu’en faire, mais invisibles car toujours cachés ; les projeter à notre face, exigeant que nous fassions avec, à travers des œuvres légères, maniables, mobiles, comme doit être l’art d’aujourd’hui. Elle ne juge ni ne condamne leur présence mais nous présente ces formes : à la fois belles et laides, radicales et élégantes, brutales et splendides.

Le sublime de ses pièces n’est pas lié à la matière elle-même – elle est sans séduction, sans romantisme, ce n’est que de la matière. Il est plutôt le fruit des traitements successifs que lui fait subir l’artiste. Elle lui confère ainsi une dimension catastrophique, monstrueuse, que corrige seulement l’ironie d’un titre (Pépertinence, La Suite à Château-Thierry, 2007 ; Chuuut, écouuute la croûûûte, centre d’art contemporain de Château-Gontier, 2007), d’un geste (trois blocs, calés entre deux plots, utilisés comme des serre-livres).

Et c’est là l’autre paradoxe de la pratique d’Anita Molinero : l’œuvre est bien incarnée – la sculpture est là pour elle-même, présence physique carbonisée, frisant l’informe, qui s’aborde spatialement, et ne renvoie pas à une idée, un concept ou un message. Mais la distance est double : tout d’abord, si elle est le fruit d’une série de gestes, ce ne sont pas nécessairement ceux de l’artiste ; ses assistants – Roberto, Sandro, Pierre – se voient souvent délégués ce qui va contribuer à incarner la pièce. Enfin, vanités baroques, ces désastres incarnés sont présentés avec un humour mordant, une ironie primesautière : après tout, ces catastrophes sont en polystyrène.

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Credits

Myriam Tirler