Angélique Pichon

21 septembre 2019 - 12 janvier 2020

Les Zipettes

Le 19 Crac, Montbéliard (FR)

Type

Exposition personnelle

Exhibition curator

Anne Giffon-Selle

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Press release

L’entropie au cœur des sculptures d’Anita Molinero cristallise toute l’ambivalente relation que nous entretenons avec les matériaux – industriels et domestiques – inventés par l’industrie pétrochimique, qui, depuis l’insouciante deuxième moitié du XXe siècle, se sont immiscés dans toutes les activités humaines. Son art corrosif du recyclage n’en nie pas pour autant toute la vénéneuse beauté… L’exposition entremêle sculptures anciennes, nouvelles productions et sculptures recyclées dont l’artiste teste plus encore la résistance. La mise à l’épreuve de l’intégrité et de la durabilité des matériaux situe les sculptures « d’anticipation » d’Anita Molinero dans une temporalité post-nucléaire, un après Tchernobyl et Fukushima, pour les rendre tout à la fois sombres et jouissives, inquiétantes et émancipées, ancrées dans le réel et instables quant à leur devenir.

Le Moment Zippettes

Le  « Moment Zippo » apparaît dans les années 1960, quand les amateurs de rock se mirent à brandir leur briquet tempête à la fin des concerts pour prolonger la lumière des projecteurs sans se brûler les doigts, et rendre hommage aux musiciens tout en réclamant un rappel. À partir de cette époque, puis dans les années 1970 et 1980, une minorité de femmes, s’identifiant généralement à cette culture rock ou punk, vont s’approprier cet objet populaire et iconique, éminemment masculin et militaire (bien entendu, le « vrai » Zippo, pas sa version édulcorée pour femmes, le Slim®). Le Moment Zippettes, c’est donc quand une femme fait crânement rouler la molette du Zippo sur son jeans pour l’allumer puis claquer le capot. C’est, de toute époque, l’instant où elle s’approprie un objet, une action, une pensée ou une posture jusque-là réservés aux hommes, et signe ainsi une rupture, aussi mince ou dérisoire soit-elle, avec un exaltant sentiment de transgression et de provocation.

Féministe ou pas, Anita Molinero s’est depuis longtemps émancipée des assignations technico-sociales. Depuis les années 2000, l’artiste joue beaucoup avec le feu : le Zippo a cédé la place au chalumeau et au décapeur thermique. Qu’il s’agisse de faire cloquer ou goutter le polystyrène de nos emballages et isolations, de fondre, de tordre ou de trouer le polycarbonate de nos toitures et ouvertures, le geste reste expérimental, toujours risqué. Il ne vise pas la destruction mais une mutation alchimique. La chaleur modèle le plastique comme d’autres outils modèle la pierre, le bois ou le métal, et la flamme calcine moins qu’elle n’engendre une palette de couleurs et de textures, demeurées en germe jusque-là. L’artiste teste les limites, la « défaillante arrogance » des matériaux que la pétrochimie a produit depuis un siècle, ces polymères qui se sont immiscés dans toutes les activités humaines. Quoi de plus jubilatoire que de les pousser dans leurs retranchements, de guetter le point de rupture, l’instant où ils vont échapper à sa maîtrise pour exprimer des qualités matérielles et esthétiques fascinantes, aux confins du grotesque et du sexué.

L’exubérance qu’elle confère à ses actuels déchets industriels succède au principe de juxtaposition plus retenu des premiers assemblages de rebuts domestiques. L’imbrication plus intime des matériaux est accentuée par la fusion (la chaleur) ou l’écrasement (la compression). Anita Molinero, qu’on ne peut guère soupçonner de chauvinisme, reconnaît volontiers ce qu’elle doit à une certaine histoire de la sculpture en France, tout particulièrement à l’œuvre de César. Les Compressions et les Expansions de ce dernier, plus que les Destructions d’Arman par exemple, trouvent en effet leur prolongement contemporain dans les Poubelles, elles aussi en expansion de par les coulures de matière provoquées par la chaleur, ou dans les Oreos que, pour l’exposition, elle a compressées une deuxième fois.

Le principe du recyclage est intrinsèque au traitement critique que l’artiste inflige aux matériaux. Ses premiers assemblages le partageaient, là encore, avec les Nouveaux Réalistes, mais émanaient aussi de l’économie précaire d’une jeune artiste. Elle ne se contente plus de proposer d’ironiques échos à notre fétichisation de l’objet et de ses emballages – ceux en polystyrène, par exemple, empalés sur des fers à béton –, elle transgresse aussi volontiers la pérennité de ses propres œuvres en les soumettant à de nouvelles transformations qui en brouillent, d’ailleurs, la chronologie.

C’est ainsi que l’exposition au 19, Crac entremêle sculptures anciennes, nouvelles productions et sculptures recyclées dont l’artiste teste plus encore la résistance. La mise à l’épreuve de l’intégrité et de la durabilité des matériaux situe les sculptures « d’anticipation » d’Anita Molinero dans une temporalité post-nucléaire, un après Tchernobyl et Fukushima, pour les rendre tout à la fois sombres et jouissives, inquiétantes et émancipées, ancrées dans le réel et instables quant à leur devenir.

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Angélique Pichon