2 - 19 décembre 2013

Je préfère être dérangé

L'Ecole du Magasin, Galerie de l’École nationale supérieure de Grenoble (FR)

Type

Exposition de groupe

Exhibition curator

Commissariat: Claire Astier, Neringa Bumbliené, Paola Bonino, Giulia Bortoluzzi, Selma Boskailo et Anna Tomczak - Session 23 de l’École du MAGASIN

Avec Robert Combas, Isabelle Crespo Rocha et Stephane Billot, Richard Fauguet, Raphaël Haie, Vincent Gontier, Matthieu Manche, Mathieu Mercier, Anita Molinero, Richard Monnier, Philippe Parreno, Laurent Perbos, Raphaël Zarka

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Press release


L’exposition Je préfère être dérangé traite de la relation particulière qu’entretient la figure du collectionneur avec les œuvres d’art qu’il possède. La collection Bruno Henry y est dévoilée pour la première fois à travers le regard des six curatrices de la Session 23 de l’École du Magasin.

Bruno Henry vit à Grenoble où il exerce la profession de stomatologue et collectionne l’art contemporain depuis 1985. L’ensemble d’œuvres qu’il possède a été envisagé à partir d’affinités électives que le collectionneur a tissées et qu’il est le seul à pouvoir révéler. En effet le lien qui l’unit aux œuvres ainsi que ceux qui unissent les œuvres entre elles sont non-conventionnels car ils se construisent dans un espace intime et domestique: celui de la maison. Cet univers privé qui possède ses propres critères d’accrochage, différents des espaces d’exposition classiques, rend floues les frontières entre les œuvres et les objets quotidiens. C’est pourquoi dans cet univers construit par le collectionneur, seul son regard peut jouer le rôle d’un parergon, socle symbolique qui donne lieu à l’œuvre. C’est ce rapport qui joue à nouveau entre Bruno Henry et la collection en tant qu’ensemble lorsqu’elle est montrée dans un lieu public. Elle trouve son sens à travers des histoires silencieuses que conservent les œuvres mais qui appartiennent à leur propriétaire. L’exposition Je préfère être dérangé se propose de mettre en lumière ces différentes histoires comme autant de perspectives propres à la collection Bruno Henry.

Je préfère être dérangé | à propos d’un sentiment d’étrangeté |

La première rencontre entre Bruno Henry et l’art contemporain a eu lieu dans les années 1980 devant une toile de Robert Combas. Bruno Henrygrand amateur d’art de la Renaissance italienne trouvât ce tableau “horrible”. Peu de temps après, lors d’un voyage en Italie, il découvrit à Florence, la Deposizione (Déposition) de Jacopo Pontormo, une peinture sur retable datant du XVIème siècle: “J’ai alors pensé, dit-il, que les contemporains du Pontormo avaient dû, eux aussi, trouver cette peinture horrible.” En effet le tableau de Jacopo Pontormo aujourd’hui considéré comme l’une des œuvres majeures du maniérisme italien, fut mal accueilli au XVIème siècle car il bouleversait les règles et dérangeait par sa représentation de corps déformés et l’utilisation par le peintre de couleurs inhabituelles pour l’époque. Cette révélation fut cruciale pour Bruno Henry qui dès lors commença à collectionner l’art de son temps, dans une recherche permanente de ce sentiment excitant d’étrangeté. Ainsi pour Bruno Henry la beauté d’une œuvre d’art repose dans le pouvoir qu’elle a de remettre en question celui qui la regarde.

Je préfère être dérangé | lorsque la vie et l’art s’entremêlent |

Après l’invention de la perspective, Bruno Henry considère le concept de ready-made développé par Marcel Duchamp comme le second grand tournant de l’histoire de l’art. Le ready-made est en effet défini par le geste de l’artiste qui lui confère sa légitimité en choisissant de le présenter dans un lieu d’exposition. Dans le cas de la collection Bruno Henry, les œuvres sont présentées de façon permanente au sein de son propre foyer ou bien dans le cabinet de stomatologie où il exerce. Ainsi les œuvres d’art et les objets quotidiens ou médicaux s’entremêlent dans une scénographie intime et malicieuse à tel point qu’il devient parfois épineux pour le visiteur occasionnel oules patients de discerner l’œuvre d’art ready-made parmi les pièces de mobilier. La mise en abyme de l’idée duchampienne transforme alors la visite de la collection en une série d’hypothèses que Bruno Henry est le seul à pouvoir valider

Je préfère être dérangé | au sujet d’une collection invisible |

Les tableaux, sculptures, vidéos et installations associés aux objets quotidiens sont pour la plupart visibles par les invités du collectionneur ainsi que les patients du cabinet. Bruno Henry qui se considère comme le gardien temporaire de sa collection, prête aussi des œuvres afin qu’elles soient montrées ponctuellement dans des lieux d’exposition publics. Néanmoins la collection reste privée et par conséquent inaccessible en tant qu’ensemble discursif. Par ailleurs certaines des œuvres, compte tenu des limites inhérentes à leurs media, sont susceptibles de rester invisibles comme c’est le cas pour les vidéos. La démonstration visuelle des idées que ces œuvres véhiculent pourrait ne jamais survenir: les œuvres d’art deviendraient alors des objets passifs, fantômes potentiels. Par l’acquisition des œuvres, Bruno Henry en possède les idées qui, si elles ne sont pas montrées, restent pourtant en activité au cœur de la collection. Cette ambiguïté renvoie à l’acte de propriété d’une œuvre d’art et à la nature de l’achat: l’acquisition d’une œuvre d’art garantit-elle son existence ?

Je préfère être dérangé | à propos des corps abjects |

À considérer la profession de Bruno Henry, ce n’est pas surprenant de découvrir à quel point la question du corps est présente au sein de sa collection. Sa pratique médicale le met face à différentes facettes du corps déformé ou mutilé. Au cours de l’histoire de l’art, les figures de corps malades exposées ont été à de nombreuses reprises étiquetées d’abjectes et méprisées. “L’autre” contaminant et sa maladie sont généralement perçus comme des éléments qui troublent et outrepassent les frontières du corps humain. Un grand nombre d’œuvres de la collection Bruno Henry interrogent ce corps par l’intermédiaire de différents sujets tels que la pornographie et la censure, le genre et sa représentation, la sexualité et la mortalité. Le corps transformé, modifié et particulièrement l’incarnation de la maladie et les transformations physiques y détiennent la part la plus importante. Ces travaux posent la question de l’identité et du pouvoir à l’œuvre dans la construction sociale du corps. Dans cette perspective, utiliser la parodie ou l’ironie afin de présenter les séquelles d’un corps malade est une manière de contester l’image conventionnelle du corps tel qu’il apparaît dans notre société.

Je préfère être dérangé | une histoire de souvenirs |

Walter Benjamin écrit “toute passion, certes, confine au chaos, la passion du collectionneur, en ce qui la regarde, confine au chaos des souvenirs.” Certaines collections illustrent l’histoire d’existences faites d’obsessions et d’éléments dont nous sommes familiers bien qu’ils nous perturbent. Ils font échos à ce que Freud a appelé l’inquiétante étrangeté. Certaines collections sont des collections de souvenirs gravés dans des corps qui content des histoires sans fin: celles de l’artiste, celles des matières dont sont faites les œuvres d’art, celles des leurs amateurs, celles d’autres espaces dans lesquels ces collections ont été montrées, celles du propriétaire, celles de sa maison... Ce chaos de souvenirs trouve dans la collection sa propre contemplation, esquissant une histoire qui n’est plus assignée car ses points de départs sont multiples. Ainsi la collection Bruno Henry révèle un récit personnel mais ouvert aux interprétations et dont les significations sont renouvelées par chaque visiteur, tout en entretenant avec certains regards une relation intime de dérangement.

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