Yann Gachet / Ville de Colomiers

26 janvier - 13 avril 2013

Fondre, battre, briser

Le Pavillon Blanc, centre d'art de Colomiers (FR)

Type

Exposition de groupe

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Press release

Avec : Baptiste Debombourg, Anita Molinero, Florian Pugnaire et David Raffini

Certaines prophéties annoncent la fin du monde en décembre 2012 : c’est l’occasion pour le centre d’art d'ouvrir l'année 2013 par une exposition autour de la figure de la destruction. Les quatre artistes réunis ici ont en commun d'utiliser des procédés de destruction pour faire œuvre. Il s'agit souvent d'une action qui crée des oeuvres relevant de l’installation, de la sculpture, ou encore de la vidéo. Chaque artiste met en place un geste caractéristique et récurrent. Tandis qu'Anita Molinero fond des objets en plastique, Baptiste Debombourg brise des matériaux en bois. Florian Pugnaire et David Raffini détruisent des objets manufacturés dont les films retracent l'histoire. Fascination de l'objet transformé, interrogation sur ce qui s'est passé : le spectateur est invité à affronter l'idée de la fin, le motif de la ruine.

DE LA SCULPTURE À L’INSTALLATION

Quand le visiteur entre au Pavillon Blanc, il ne peut éviter la sculpture Smoby (2010) d’Anita Molinero, posée dans l’atrium. Son titre est emprunté à la marque d’un fabricant de jouets. Elle se compose d’un module de jardin d’enfant dont la matière a subi une déformation due à la chaleur. Plus loin, Turbo (2007-2013), de Baptiste Debombourg, sort du mur comme une énorme protubérance à l’état embryonnaire. Son volume fait écho à l’installation Amnesia/Paramnesis (2013) de Florian Pugnaire et David Raffini composée d’un cube de vidéo projection, de deux films et d’objets installés. Smoby est montée par assemblage, Turbo se pose comme l’architecture d’une forme qui ne vivra que le temps de l’exposition. Pour Amnesia/Paramnesis, Pugnaire et Raffini installent des objets de forme et de natures différentes dans l’espace. Ils proposent au spectateur une immersion spatiale, visuelle et sonore.

Ces oeuvres rompent avec la sculpture traditionnelle, taillée, moulée et sur socle (la ronde bosse, sculpture autour de laquelle le visiteur peut tourner). Les artistes proposent des oeuvres qui résonnent avec l’environnement : Turbo s’appuie ainsi aux murs ; les matériaux qui composent Amnésia/Paramnesis sont mis en scène dans l’espace de la galerie. On parle ici d’installation, d’oeuvre in-situ, d’oeuvre environnementale. Si la sculpture a longtemps correspondu à des objets à échelle humaine, elle emprunte aujourd’hui à l’architecture par sa monumentalité et ses matériaux, mais aussi au théâtre et au cinéma. Ces artistes utilisent ici du plastique, du bois ou du contreplaqué pour construire, assembler ou disposer dans l’espace des formes qui nous dominent et dans lesquelles on peut se déplacer. Et pour Amnésia/Paramnésis, les artistes combinent des vidéos où les lieux apparaissent à taille réelle parmi des objets mis en scène comme les éléments d’un décor… ou d’une scène de crime. Les formes créées, loin de la catégorie traditionnelle du beau, peuvent être lues comme une dénonciation du consumérisme ; elles montrent aussi une beauté différente faite de destruction spectaculaire (André Breton ne disait-il pas il y a déjà 80 ans que « la beauté sera convulsive ou ne sera pas » ?).

DES ÉLÉMENTS ISSUS DU QUOTIDIEN

Les quatre artistes fabriquent des sculptures à partir d’éléments standardisés issus de notre quotidien. Molinero travaille à partir d’un module en plastique de jeu pour jardin d’enfants, Debombourg construit avec des tasseaux de bois et Pugnaire et Raffini mettent en scène la destruction d’un atelier, utilisant placo-plâtre et carton associé à la vidéo Paramnésis, projeté dans un cube en bois. Ce dernier pourrait nous rappeler le white cube, cher à l’art contemporain. Il aurait, ici, perdu de sa superbe pour se présenter calciné et à moitié détruit. L’utilisation de ces matériaux pauvres et impersonnels dans l’espace du centre d’art abolit les frontières entre culture noble et populaire. L’art du musée croise les rebuts.

LE POTENTIEL DE CRÉATION DES OBJETS

Les artistes battent, fondent, brisent les matériaux : ils révèlent leur potentiel créatif. Quand Baptiste Debombourg fait pousser une excroissance, une greffe d’un mur rectiligne, il évoque la possibilité pour l’homme d’être le créateur de son espace. De nouvelles formes émergent qui font écho au béton voilé et aux murs instables du bâtiment. Anita Molinero quant à elle, fond les objets manufacturés. Elle opère sur eux une mutation qui donne à voir la matière qui coule et déborde à l’état brut. Entre destruction et construction, l’œuvre d’Anita Molinero offre une troisième voie : la création d’un univers sensoriel. Le plastique dessine un récit aux contours poétiques et sombres. Les couleurs vives contrastent avec les coulures du plastique : un paysage désolé qui n’est pas sans rappeler à l’homme sa propre fin (ou la fin du monde). A travers ces œuvres, l’objet se dérobe. Retravaillé par l’artiste, il apparait comme une matière vivante et autonome qui échappe à son statut d’artefact et au contrôle de l’homme.

DIRE, DÉTRUIRE

La destruction est chez ces quatre artistes un enjeu plastique : il s’agit de créer une forme. Elle procède aussi d’un univers narratif nourri de références au cinéma et à la science-fiction. Le potentiel fictionnel et discursif qui se dégage des oeuvres prend des allures différentes. Turbo séduit en premier lieu le spectateur par sa forme. Mais l’oeuvre a une double identité. Des glissements s’opèrent au-delà de la séduction du premier regard. En greffant des matériaux pauvres qu’il déplace de leur contexte d’origine dans des espaces nobles (les tasseaux de bois sur le mur du centre d’art), l’artiste remet en question les normes qui régissent nos vies et nos certitudes. Cette protubérance qui semble couler du mur au sol permet d’imaginer un monde instable qui ne s’écroule pas mais qui s’écoule.

L’oeuvre de Florian Pugnaire et David Raffini brouille quant à elle les frontières entre fiction et réalité. Dans l’installation Amnésia/Paramnésis, la vidéo Paramnésis projetée à l’intérieur met en scène l’autodestruction d’un décor représentant un atelier : une série d’espaces emboités les uns dans les autres se désagrègent. On retrouve tous les éléments de décors qui composent l’installation à l’intérieur de la cabane, abolissant la frontière entre le film et le réel. Il y a dans Paramnésis une esthétique cinématographique amenée par le montage qui nous fait basculer dans une dimension fictionnelle cauchemarde. Dimension fictionnelle que l’on retrouve dans la sculpture Smoby d’Anita Molinero, plus poétique que critique. Cassé, fondu, ce jouet monumental crée un environnement brutal, terrifiant et sensuel ; une atmosphère à la fois apocalyptique et paradisiaque. Les gestes de destruction à l’origine des pièces d’Anita Molinero, de Florian Pugnaire et David Raffini semblent plus d’ordre compulsifs que raisonnés. Et paradoxalement, la destruction est un geste de création.

LE GESTE

Les installations de Florian Pugnaire et David Raffini portent en elles les traces des transformations produites sur les objets et les espaces. En pénétrant dans l’espace de vidéo-projection, le spectateur est confronté à l’image de la destruction de ce même espace. L’installation donne à lire le geste des artistes, qui par une violence bien orchestrée, soumettent les espaces à la torture. L’installation est le résultat. Elle donne à voir la trace du geste comme une toile de Pollock parle de la gestualité du peintre. Le geste est également primordial chez Anita Molinero. Elle affronte directement la matière avec un chalumeau. Chez Baptiste Debombourg, le monde est détruit à la hache, scié, broyé puis recomposé différemment. Si depuis les années soixante la sculpture s’est affirmée dans bien des directions, si elle flirte avec l’art conceptuel avec des artiste comme Sol Lewit, elle reste encore parfois dans le geste et le faire.

Bibliography

Credits

Yann Gachet / Ville de Colomiers